Voici les photos et l'entrevue de JLB réalisées pour le magazine Sport&Style, supplément luxe et mode du journal sportif l'Equipe.
Il est réalisé par les journalistes et photographes du magazine Vogue.
Reconversion réussie. Le chemin des rings aux shootings n'est pas forcément évident pour un athlète de haut niveau. Le 18 décembre au Crillon, Le Banner prouve qu'il n'est pas près de s'égarer...
Photo :
MARCEL HARTMANN Texte :
ROGER CORNILLAC Stylisme :
LUCIANO NEVES Série noire avec Jérôme Le Banner Champion incontesté de kickboxing, Jérôme Le Banner a été deux fois finaliste du K-1 à Tokyo. Après une entrée fracassante dans l'univers du cinéma, de "Scorpion" à "Babylon A.D." de Mathieu Kassovitz, Jérôme sera le personnage principal du roman SDF, de Roger Cornillac, qui signe ici le portrait d'un athlète à la vie hors norme, pleine de vérité et d'excès...
Portrait "
Sex, Drugs and Fight" fut la réponse qui fusa de la bouche de Jérôme lorsque je l'interrogeai sur le titre que l'on pourrait donner à ce roman qu'il me demandait d'écrire sur sa vie. J'en isolais les initiales, S, D, F, pour mieux le propulser dans une vingtaine d'années, échoué sur un coin du trottoir "
car c'est sans doute là que je finirai au mieux ma vie, ou au pire, en embrassant mon parabellum", m'avoua-t-il.
En dehors du ring et de sa carrière sportive, Jérôme ne cesse de se battre ou de se débattre dans des situations exceptionnellement risquées et dangereuses, comme si la vie était un perpétuel combat, dont celui contre le "mensonge" n'est pas le moindre. "
C'est une bête immonde, un carnivore qui ronge l'amour et l'amitié en altérant la confiance que tu accordes à l'autre. Le menteur ne s'en sert que pour se disculper de quelque chose.
Tu as beau les connaître, tu ne les vois pas arriver. Ce sont les mêmes qui te claquent le dos d'un tape amicale, avec un grand sourire à la clé, en espérant qu'elle te fasse chuter ", indique-t-il.
-Et toi, tu ne mens jamais ? lui demandai-je.
-On ne doit jamais se mentir.
-Réponse de Normand !
-J'en suis un ! Descendant direct des Celtes et des Vikings. Pour conquérir, pas pour vous servir ! C'est par les arts martiaux que j'ai découvert qu'on ne peut acquérir la confiance des autres que si on ne leur ment pas.
En voiture, au bistrot, près des falaises ou dans un supermarché, je filmais Jérôme tout en le questionnant un peu au hasard du trajet ou de l'actualité.
-Le boxe, ça vous remue les neurones, c'est pas le foot ! me dit-il.
-Et le ring, c'est quoi, pour toi ?
-C'est le lieu rituel où la messe est dite. Une arène où s'affrontent les gladiateurs. Ce n'est que sur un ring que je peux vaincre, être champion pour atteindre mes objectifs.
-Comme d'autres les gagnent avec leurs idéaux.
-Peut-être. Je respecte leurs combats, mais ils ne sauront pas pour autant ce qu'est un ring. Le ring c'est une cellule sans murs. Si tu t'en évades, tu meurs.
...
Je lui demandais si, au cours de son enfance, sa forte corpulence ne l'avait pas imposé comme chef de bande à l'école, ou plus tard, dans cette banlieue du Havre où il vivait avec ses parents.
-Tout faux ! Tout petit, je n'étais pas quelqu'un de violent, mais de turbulent, de speed. Colérique, ça, oui ! Mon père, quand j'étais môme, il s'en foutait de moi. Il partait pour l'usine le lundi matin à 5h, et je ne le revoyais que le samedi, bourré ! Ou, quelquefois aussi, en ville, mais toujours bourré. C'était un gueulard, pas un violent, même s'il cognait de temps en temps. Ma mère, elle, laissait passer l'orage ! Toujours calme, ma mère. C'est elle qui portait la culotte. Femme de caractère, oui ! Je tiens d'elle. Elle était forte, ma mère. Mon père, c'était une ****** molle, je ne peux aps tenir de lui ! Sauf la connerie peut-être !
Sur la violence, il allait à l'encontre de tout ce que je pensais :
-La violence des quartiers n'est qu'une panoplie de la violence. La violence telle que nous la concevons dans les arts martiaux n'a rien à voir avec ces violences de puceaux mal élevés, ces phraseurs de rap, ces destructeurs irresponsables, même pas capables de se faire mal à eux !
Du désoeuvrement et de l'ennui ne résulte qu'une violence de seconde zone. Je les aime, ces mômes, j'ai été l'un d'eux, et je m'en suis sorti, mais tout seul ! La violence, il faut la retourner contre soi, chercher où sont ses limites, et les atteindre quitte à en crever. Ce ne sont ni les keufs ni les pompiers qui t'aideront à te trouver, ni à te construire en les détruisant !
A 16 ans et demi, j'avais déjà lu beaucoup de livres concernant les arts martiaux mais, surtout, ceux de Bruce Lee. Je me souviens avoir acheté un mannequin en bois à son effigie.
En plus de la salle , je m'entraînais aussi dans le garage de mes parents. Dans les bois, je m'éclatais les phalanges contre les arbres pour m'endurcir, bien sûr, mais aussi pour connaître et atteindre mes limites. Se faire mal est une quête permanente, c'est frapper dans le sac de sable jusqu'à épuisement.
Kung-Fu signifie
discipline et
entraînement. Violenter son corps est une façon de sortir de soi. La violence contre soi, c'est la violence pour soi ! Ma voie me semblait toute tracée, je n'avais qu'à la suivre. Et cette détermination à atteindre ce but n'occultait en rien tous les efforts que je devrais fourni pour l'atteindre, pas plus qu'elles ne diminueraient les embûches ou les doutes qui allaient m'assaillir. Le plus dur dans la vie, c'est de trouver un maître qui te guide et qui te suis.
...
-Tu as déclaré être un prédateur...
-Quand je monte sur un ring, c'est pour mettre KO mon adversaire. Gagner aux points, c'est une fausse victoire pour moi. Je ne sais pas calculer, je n'élabore pas de tactique de combat, je ne sais pas m'économiser.
-Et le KO, c'est quoi ?
-Sans l'avoir subi, tu ne pourras jamais ressentir ce tsunami qui déferle sur toi, ni avoir conscience de ce gong qui bourdonne en toi comme un tocsin. Ces dix secondes martelées par l'arbitre n'ont d'équivalent que celles qui séparent le taureau de sa mise à mort.
-Et quand tu es dans les cordes ?
-Elles te sauvent et t'humilient à la fois, te renvoient au combat, même la gueule en sang ou les côtes brisées par un kick qui te déchire le flanc. Seule la rage de vaincre te sauve, jamais la haine de l'adversaire.
Mais de cette petite mort qu'est le KO, qui peut vraiment en parler ?
Jérôme est un être aussi paradoxal dans ce qu'il dit, qu'excessif dans tout ce qu'il fait, mais il reste toujours cohérent. Paradoxal, quand on le voit presque danser avec élégance et légèreté sur un ring, alors que c'est un corps bardé de plus de cent kilos de muscles. Excessif, aussi, dans ses rapports avec les femmes. Doué, me dit-il, d'un appétit féroce pour elles, s'il les dévore avec passion, c'est toujours en les respectant, fussent-elles des prostituées. "Les femmes n'ont pas besoin de boucs, elles ont besoin qu'on les aime", dit-il.
Sa vie, sa jeune vie, est ponctuée de descentes aux enfers, jamais dans celles d'un purgatoire rédempteur. La sécurité d'une famille, les règles de filiation qui la régissent en général, il les retrouva en devenant l'homme de main d'un des pontes du "milieu" parisien, qui lui accorda l'affection que l'on porte à un fils. Expérience de jeunesse sans suites. Au cours d'un combat à Tokyo pour le tournoi annuel du K-1 en 2002, il fut victime d'une triple fracture de l'avant-bras, ce qui l'éloigna des compétitions. La vie perdant alors tout son sens, c'est dans les excès d'une vie de noctambule et de ses incontournables déviances qu'il chercha à se détruire. Filles faciles et coke à gogo pour atteindre et franchir des limites que les autres n'atteignent pas ! Il y laissa des plumes. Oiseau blessé, cloué au sol, immobile, délaissé par ses pairs, délaissant ses amis, mais trop orgueilleux pour s'avouer vaincu par le destin et la déchéance, il reprit le chemin des salles d'entraînements et celui du ring, avec toujours cette rage de vaincre, et cette quête de lui-même.
Les tentations, les embûches restent nombreuses, mais il atteindra ses buts par ténacité et persévérance. Conscient que son corps un jour prochain, inévitablement fatigué, usé, rouillé cabossé, pourrait ne plus répondre à ses aspirations, il refuse d'avance d'être vendu comme une épave, puis relégué à la casse ! Jérôme ne sera jamais une "occasion", quoi qu'il fasse !
Qu'on se le dise. Sollicité de plus en plus par le cinéma, ce sont d'autres combats qui l'attendent. Il sait que ce n'est que par travail qu'il parviendra, peut-être, à prendre place dans cette autre famille qui pourrait l'adopter.
Assistant photo
Philippe Hohndorf Assistante stylisme
Ornella Jong M