Muay Thaï
Skarbo au bout du cheminJean-Charles Skarbowsky tourne la page de sa carrière de boxeur pour écrire un nouveau chapitre de sa vie. A 31 ans, celui qui symbolise la boxe thaï enseigne désormais au club Daumesnil (8 rue de Prague), à Paris.
Ta décision est donc prise, tu raccroches les gants et le Mongkon ?Ça fait déjà deux ans, en fait, que je m’entraîne plus et que je vais quand même boxer des champions du monde… C’est d’ailleurs pour ça que j’ai connu quelques défaites ces derniers temps.
Pourquoi ne t’entraînais-tu plus ?Parce que je n’ai plus envie de faire de sacrifices. J’en étais arrivé à un point où je préférais perdre, plutôt que gagner en récoltant des blessures.
Ta motivation était au point mort en somme…Je pense aussi être arrivé pas mal au bout de ce que je voulais faire. Je suis même allé plus loin que ce que j’avais imaginé, en dépassant carrément mon rêve. Après cela aurait été de la gourmandise ou de la fainéantise. J’aurais pu encore grappiller trois-quatre ans, mais j’aurais eu d’autant plus de mal à me réinsérer ensuite. J’en ai déjà suffisamment maintenant.
Ta décision est-elle irrévocable ?Je pensais, au départ, que j’allais encore boxer quelques années, pour l’argent, pour le fun et la réputation… Mais à mon dernier combat, fin juin, contre l’un des plus grands champions thaï du moment, j’ai eu un déclic.
Quel genre ?J’ai vu quelque chose dans les yeux de mon adversaire que j’avais perdu. J’ai vu qu’il avait faim… et moi j’avais déjà mangé. Je ne suis plus prêt à faire tous ces sacrifices et à subir toutes les privations de la préparation d’un combat.
C’est pour ça que tu as accepté beaucoup de combats à 70 kg ?Oui, c’était pour ne pas avoir à faire de régime draconien, comme j’en ai toujours fait jusqu’à 63 kg. En 63 kg, j’étais imbattable, en 66 un peu moins, en 70 beaucoup moins et en 73 kg… J’arrivais au combat après un bon repas et ce n’était que du plaisir. De temps en temps je gagnais, je ne faisais pas des combats ridicules, donc ça tenait encore debout.
Tu parlais de cette révélation lors de ton dernier combat ?Oui, j’ai lu dans les yeux du boxeur qu’il était prêt à souffrir pour gagner, alors que moi je n’étais plus du tout prêt à ça. Il m’a touché sur un coup, qui m’a fait perdre l’équilibre et au moment de me relever, j’ai réfléchi… Je me suis dit que si je me relevais, j’allais souffrir vraiment beaucoup plus. Que je gagne ou je perde, j’allais en ressortir blessé…
Tu ne t’es pas relevé ?Non. A 24 ans, le mec en face n’avait pas vécu tout ce que j’avais vécu. Il était au début de son rêve et on lui avait fait plein de promesses. Car en boxe, tout ce qui te fait marcher, c’est le rêve.
Tu parles comme si ta carrière n’avait pas comblé tes aspirations…Au bout de quarante championnats du monde et après avoir boxé tous les meilleurs, ma désillusion est évidente. Quand tu te rends compte que tu n’es pas même respecté par les ambassades, tu te poses des questions… et tu trouves vite des réponses sur ton statut de boxeur. Tu sais aussi que tu ne vas pas être millionnaire comme une star de ciné… Ça ne m’empêche pas d’avoir apprécié chacun des moments de ma carrière.
Jamais tu n’avais abandonné sur le ring avant ça ? Je l’avais déjà fait une fois, parce que j’avais la mâchoire cassée en deux, avec l’os qui me rentrait dans la bouche… Mais là j’ai abandonné sciemment et avec le sentiment d’avoir passé le « dernier stade ». D’avoir dépassé ce besoin de plaire aux gens.
Et peut-être ce besoin de boxer du même coup ?Oui, si seul ce que peuvent penser de moi ma femme, mes amis ou ma mère m’intéresse, pourquoi devrais-je donc continuer à boxer ? J’accepte de ne pas être le plus fort au monde, voilà, et je suis content d’avoir compris combien l’homme est faible.
La rançon de la conscience pour ainsi dire ?En tout cas, j’ai vaincu la peur du regard des autres. Vaincre les peurs, c’est ce qui m’a emmené à la boxe et fait tenir jusque là. Mais quand tu n’as plus peur, il n’y a plus rien à vaincre. Quand tu n’as plus d’adversaire, à quoi bon te battre ?
Que penses-tu du muay thaï en France ? La boxe amateur a tué le muay. Il faut arrêter de vouloir faire croire que la boxe thaï est accessible à tout un chacun. C’est très dur, ça fait très mal et maintenant si vous n’aimez pas on s’en fout ! On n’a pas besoin de vous ! On est une famille, on est 10 000 pratiquants en France. On n’a pas besoin d’être 20 000, on n’a pas besoin d’argent ou de télé, on fait ça pour nous-même.
A quel âge as-tu eu l'idée d’embrasser une carrière de boxeur ?A 20 ans. J’ai arrêté mes études d’ostéopathie pour me lancer à fond… et je me casse la main un an après ! Le médecin me dit d’arrêter la boxe et le monde s’écroule autour de moi. Je ne reprends la boxe qu’à 24 ans et je bats la légende Robeut (champion du Radja et du Lumpini) à Las Vegas. Après notre revanche, à l’anniversaire du roi de Thaïlande, on avait sympathisé et il m’avait invité à venir boxer et m’installer à son camp, le Jocky Gym. Pour moi, c’était la voie royale !
(Entretien en décembre 2006)